Retrouvez en format texte l'interview de Jean-Jacques Jelot-Blanc et Maria Dao, ci-dessous

in Séries Mania, novembre-décembre 1999

On oublie souvent de reconnaître que la précision du jeu d'un acteur étranger dans les séries diffusées chez nous revient, pour une grande part, au comédien français qui lui prête sa voix. Travailleurs de l'ombre, patients autant que méticuleux, talentueux autant qu'humbles, ils mettent leur talent et leur savoir-faire au service d'une star. Régulièrement, Séries Mania rend à César ce qui lui appartient...

Séries Mania : Raconte-nous tes débuts ?
Marie-Christine Darah : Quand j'étais gosse, j'ai participé à quelques célèbres opérettes sur la scène du Châtelet. Ensuite, on m'a inscrite trois années comme petit rat à l'Opéra de Paris.

Tes parents t'ont poussée ?
Oui beaucoup ! Maman adorait aller danser dans les " baloches " parisiens. C'est ce qui a poussé mon frère aîné, aujourd'hui disparu, à choisir une carrière artistique, Patrick était petit chanteur à la Croix de Bois, il a fait le tour du monde. Il adorait chanter...

Toi, c'était la comédie ?
Oui, plutôt. D'abord le théâtre, puis la télévision et même un peu de cinéma dont un film d'André Cayatte, Mourir d'aimer, où j'avais une scène avec Annie Girardot.

Comment as-tu débarqué à Paris ?
Par le métro car je suis née à Pantin. D'ailleurs, je m'amuse à claironner un peu partout mon identité Togolo-Pantinoise : papa était noir natif du Togo, maman blanche pure souche parisienne née dans le XIXe arrondissement.

Comment es-tu venue au doublage ?
Le plus simplement du monde : par la post-synchronisation des dialogues. J'ai fini par y prendre goût après m'y être familiarisée, un peu forcée par les événements.

Quels événements ?
Ma propre identité. Etre ùétisse te rend victime d'un racisme insidieux. Y a-t-il beaucoup de présentateurs, de comédiens noirs ou métisses en France ? Non car nous sommes victimes des stéréotypes. Moi aussi, je me suis heurtée aux mêmes difficultés que Pascal Légitimus. Aussi, lorsque j'ai eu l'occasion d'orienter ma carrière vers le doublage, je n'ai pas hésité...

Y a-t-il beaucoup de doubleurs black ?
Finalement assez peu et puis, une fois encore, des acteurs comme Med Hondo (voix d'Eddie Murphy entre autres) ou Thierry Desroses (Eriq LaSalle dans Urgences) essaient de se diversifier et de ne pas se cantonner aux seuls acteurs noirs.

Qui as-tu d'abord doublé ?
J'ai fait des essais pour Robin Givens dans Rage in Harlem et bien que j'ai vocalement pas d'accent type, j'ai été rapidement cataloguée " comédienne noire ". Comme le monde du doublage est extrêmement petit et que je ne m'en sortais pas mal, j'ai rapidement été débordée de travail.

Existe-t-il une technique de doublage ?
Non, nous sommes comédiens tout simplement, ce qui nous permet de relever chaque jour le challenge. Personnellement, dans les voix que j'effectue, j'essaie toujours de faire passer mes propres émotions dans les scènes, ma voix passe par mon corps, par mon âme. Je vais te paraître prétentieuse mais franchement, c'est l'idée que je me fais de mon métier. Ce que je cherche à atteindre, c'est de ne jamais être reconnue d'un rôle à l'autre. Mon plus grand bonheur, c'est de savoir que je double trois comédiennes dans trois séries diffusées à la suite sans que personne n'y prenne garde.

Certains parlent de conditions de travail difficiles ?
Foutaises ! Nous autres comédiens n'avons pas à nous plaindre d'un métier qui nous permet de gagner largement notre vie. Je ne suis pas prête à me mettre en grève.

Te souviens-tu d'un doublage particulier ?
Peut-être celui d'Oprah Winfrey, la diva des talk-shows américains, dans Beloved, le magnifique film de Jonathan Demme. Un beau rôle à doubler comme La Couleur pourpre de Spielberg où je n'avais pas été sélectionnée pour doubler Whoopi Goldberg.

Tu t'es rattrapée ensuite ?
Oui, j'ai fait presque tous ses films sauf quelques-uns dont La Couleur pourpre pour lequel j'avais fait des essais mais où je n'ai pas été retenue : je n'ai donc eu qu'un tout petit rôle et c'est Arlette Thomas qui a fait Whoopi. J'ai également raté Jumpin' Jack Flash et depuis Pie Voleuse (Burglar), en 89, je n'en ai loupé que rarement dont Sarafina et The Player.

L'as-tu rencontrée ?
Non, je le regrette. J'essaie d'entrer en contact avec elle depuis plusieurs années car nous avons beaucoup de points communs, le même tempérament, la même éthique de la vie, l'amour, les enfants, nous souffrons toutes les deux de la négritude.

Mais tu dis qu'être métissée t'a parfois aidée ?
Oui dans un certain sens car je peux passer facilement d'une couleur à l'autre sans problème. Ainsi j'ai pu décrocher Dharma (et Greg) et Monica (Friends) qui m'ont " libérée " en quelque sorte de l'image de Whoopi !

Parles nous de Friends ?
C'est un challenge assez sympa, avec mes cinq camarades, on double chaque épisode en une seule demi-journée. On forme une bonne équipe, il y a une bonne ambiance, on prend son temps pour faire notre boulot...

Que penses-tu de Monica ?
J'aime bien son côté maternel névrosée, son désir inassouvi d'enfant.En réalité, Monica résume toutes les frustrations féminines, le cœur, le sexe, l'amour...

Es-tu contente du résultat ?
Rarement car je suis très perfectionniste. D'ailleurs je me traîne une réputation d'emmerdeuse car j'estime que mon métier est un véritable travail d'artiste et non de sous-fifre. Parmi toutes les séries sur lesquelles je travaille, je suis très fière de Nikita.

Y a-t-il parfois des choix difficiles ?
Oui, récemment j'ai été contactée pour des essais dans le film Où sont les Hommes ? où il y avait Whoopi mais aussi Angela Bassett que j'avais doublée dans trois de ses films. Comme elles avaient de nombreuses scènes ensemble, il a bien fallu que je choisisse. Whoopi pour moi, et j'ai parlé d'Elisabeth Wiener qui avait aussi doublé Angela. A ce moment-là, je me suis dit que si un jour, dans Friends ou Dharma et Greg, les producteurs invitaient Whoopi en guest, ce serait un drôle de challenge.

Tu ferais les deux rôles ?
Ce type de cumul ne s'est jamais fait et ce serait très mal vu car on serait traités de cumulards. Mais tu peux écrire que je veux bien être la première à relever le défi et, de surcroît, à affirmer que personne ne s'apercevra que j'ai doublé les deux.

Dharma, Monica ou Nikita, comment t'y retrouves-tu ?
En doublage, on se pose rarement la question : on " entre " naturellement dans l'une ou l'autre. Adjani ou Binoche changent bien de rôle en rôle. Dans un auditorium, c'est pareil ! Chaque personnage de série possède son tempérament propre : j'aime la doubler parce qu'elle possède ce côté cool. Nikita, j'adore la faire pour sa révolte contre l'injustice, elle n'obéit pas à l'ordre établi. Comme moi ! J'ai un point commun avec chacune des comédiennes que je double finalement.

Ton plus grand plaisir de pro ?
D'être une Canaque et de pouvoir prêter ma voix à une blonde éthérée comme Dharma. C'est comme lorsqu'il m'a fallu entrer dans la peau de Madonna pour son film The Body, je devais être à la hauteur parce que c'était elle qui m'avait imposée. Elle avait apprécié ma voix et dieu sait si j'adore la sienne.

Tu chantes aussi ?
Oui parce que je ressens comme un manque dans ma vie de comédienne : alors je me suis mise à la musique avec Freddy Viau, un auteur, et Régis Delbroucq, un compositeur. On prépare actuellement un CD et une scène. J'espère être soutenue par les fans de Whoopi, Monica et... Séries Mania !

Et la famille ?
Il n'y a plus hélas ni ma mère, ni mon père, ni mon frère. Mais je ne suis pas seule : j'ai deux fils fans de musique mais aussi très sportifs. Thibault, 20 ans, est médaille d'argent d'athlétisme en 400 m, et Antoine, 21 ans, est champion de France dans la même catégorie sportive. Eux aussi aiment les challenges !

(Propos recueillis par Jean-Jacques Jelot-Blanc et Maria Dao)

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